La Procuratrice d'Elauria rayonnait. Elle avait peut-être trouvé !
Depuis près de huit ans maintenant elle cherchait en vain un nouveau foyer pour les réfugiés d'Elauria, sa planète natale, détruite dans une explosion nucléaire criminelle d'une puissance inimaginable pour un peuple qui vivait depuis déjà des siècles dans une Paix totale, libéré de toute forme de violence et de toute arme.
Voilà déjà 22 ans qu'Elauria a disparu, détruite par des monstres venus d'un astre lointain. Jamais les Elauriens n'avaient su qui ils étaient. Ils avaient tellement l'habitude d'offrir sans rien demander en retour, d'accueillir sans préjugé ni soupçons, que lorsqu'ils étaient arrivés, ils leur firent des présents et proposèrent de les héberger.
Au début, ils furent des plus chaleureux et profitèrent de la fête donnée en leur honneur, et malgré leurs regards lubriques et leurs armes rutilantes les Elauriens ne se doutèrent de rien, ignorant totalement ce qu'était au juste un regard lubrique, et n'ayant pour la plupart jamais vu une arme de leur vie, sauf dans les hololivres d'histoire bien sûr.
La nuit venue...Oui, c'était la nuit, elle s'en souvenait bien, même si elle était très jeune à l'époque...La nuit venue ils sortirent de leur chambre et commencèrent à faire ce pourquoi ils étaient venus.
Les scènes lui revinrent par flashs...Des scènes de viol collectif...Des pelotons d'exécutions et des hommes écartelés partout...Les Cités sillonnés par les pillards et les myriades de parcs en proie aux flammes...Le feu, lumière irréelle, quand la nuit aurait dû être claire et étoilée...la fumée suffoquante, là où l'air aurait dû être pur...le bruit, le sang, les cris, et les rires, là où tout aurait dû être paisible...
Les Elauriens couraient partout, les pillards à leur troussent. Ils ne savaient pas se battre, car jamais ils ne l'avait appris. Ils ne voulaient pas se battre, car toujours ils prônaient la diplomatie. Mais ceux-là n'entendaient pas raison. Ils détruisaient, ils détruisaient tout...La peur...La peur gagnait les Elauriens et s'amplifiait à chaque seconde, devenant palpable, et même inhalable...La folie s'empara du monde tandis que des vaisseaux d'évacuation décolaient en catastrophe, pourchassés par les chasseurs performants des envahisseurs, qui n'eurent aucun mal à rattrapper et aborder des appareils "civils", comme ils appellaient les astronefs diplomatiques d'Elauria, des appareils qui étaient soit détruits soit capturés, inévitablement, irrémédiablement.
L'Horreur dura trois jours. Trois jours pendant lesquels la petite Isabelle fut ballotée au milieu de petits groupes d'Elauriens qui avaient réussis à fuir dans les forêts en flammes, et l'entouraient seuls ceux qui avaient réussi à échapper à l'Incendie en sa cachant dans des grottes, tout comme elle...Les grottes...Ces mêmes grottes dans lesquelles elle aimait tant jouer avec ses frère et soeurs...Ils étaient morts maintenant, comme 96% des Elauriens...
Isabelle ignorait par quel processus elle avait pu sombrer si profondément et si facilement dans ses souvenirs les plus horribles et les plus enfouis, mais le phénomène était passé maintenant. Le vaisseau de descente qu'elle avait respectueusement emprunté dans le hangar du Vaisseau Colonial Elauria I était une petite navette biplace très maniable aux lignes élégantes, ces mêmes lignes qui faisaient la fierté des Elauriens, car elles parvenaient à faire paraître un simple véhicule pour une merveilleuse sculpture, tout en ôtant au vaisseau tout l'aspect menaçant que pouvaient avoir les autres astronefs modernes, qui copiaient de plus en plus souvent le style épuré, effilé, l'élégance meurtrière des vaisseaux de la Fondation.
La Tour de Contrôle lui donna l'autorisation d'atterrissage et elle se posa dans le spatioport de Géonova, ce monde plein de promesses.
Elle ne se sentait pas intimidée par cette planète, mais elle ne pouvait s'empêcher de regarder autour d'elle pour s'assurer qu'aucun homme armé ne s'approchait d'elle ou du vaisseau. Elle savait que malgré leurs idéaux les Géonoviens n'avaient aucune des convictions des Elauriens, et n'hésitaient pas à porter des armes, formant des compagnies de gardes chargés de défendre leur monde et ceux qui se placent sous la protection de leur République.
Durant ses voyages, elle avait réussi à se familiariser infiniement meiux que les autres à ces objets donneurs de mort, mais elle savait son tramatisme encore latent, palpitant à la surface tel un monstre en cage s'acharnant sur les barreaux qui le retiennent, n'aspirant qu'à sortir et à déchirer de ses serres sa geôlière, celle qui ose le bannir même de son inconscient, l'enfermant dans une petite partie de sa mémoire, bien présente à ses esprits, mais bien domestiquée également.
Ayant quitté le vaisseau et s'étant assuré que tout allait bien, elle avait refermé celui-ci et s'était rendue seule à la sortie du Spatioport de la Planète. Le Centre Administratif de Géonova était attenant, et il y régnait une vie et une animation qui surprient d'abord la Procuratrice d'Elauria, puis la rassurèrent, car cette vision lui rappelait un peu l'Elauria de jadis, celle qui resplendissait sans pour autant s'annoncer partout dans la Galaxie.
La Procuratrice Evalard prit ce qui lui semblât être un petit aérotaxi, et dont le chauffeur, bien qu'ayant affiché une mine patibulaire de prime abord en sortant un laconique: "quelle direction m'dame ?" afficha bientôt un visage transformé à la vue de la belle Isabelle, qui lui souriait gentiment, semblant l'encourager à la bonne humeur de tout son être, de toute son âme.
C'est un chauffeur rayonnant et de bonne humeur qui lui ouvrit lui-même le compartiment passager et fit décoller son aérotaxi, le sourire aux lèvres et l'envie de pousser la chansonnette semblant prête à le prendre.
- "Où désirez-vous aller, Mâdâme...Euh...J'veux dire....Où est-ce que je dépose votre Altesse ?"
La belle élaurienne éclata d'un rire cristalin qui respirait la bonne humeur.
- "Allons, mon ami, je ne suis ni une grande Dame ni une femme de sang royal. Appelle-moi Isabelle, je te prie, et si tu acceptais de me conduire là où l'on doit se rendre pour faire des demandes officielles sur ce monde, tu m'en verrais ravie !"
- "Tout de suite m'dame !"
Et l'aérotaxi décolla brusquement, mais en souplesse, fonçant à toute allure au coeur du Centre Administratif. Puis semblant se souvenir qu'il avait peut-être une femme d'importance sur la banquette arrière, peut-être même une Princesse - car nul autre femme ne pouvait être aussi belle qu'une princesse, n'est-ce pas ? A moins qu'il s'agisse d'une Déesse, mais les Déesses ne prenaient ne prenaient jamais le taxi du vieux Joe - et il ralentit l'allure, s'efforçant de conduire à bonne allure sans excès, et respectant la criculation aérienne comme jamais il ne le fit en vingt ans de carrière. Il se demandait cependant pourquoi une femme aussi belle et aussi noble utilisait un taxi aussi miteux que le sien pour se rendre dans un des bâtiments les plus officiels de Géonova.
- "Vous êtes la représentante de quelle planète, déjà, ma Dame ?"
- "D'aucune planète, mon ami, je représente le Peuple d'Elauria".
- "El Hauri-A ? Connais pas...C'dans l'secteur Seychelles, hein ? Z'ont toujours des noms bizarres pour leurs planètes là-bas...Oh! J'disais pas ça pour vous faire de la peine m'dame!"
- "Ce n'est rien, mon ami, Elauria n'est pas une planète, du moins elle ne l'est plus..."
- "Faut pas avoir cette mine triste, Duchesse! Si quelqu'un vous cherche des misères j'suis sûr que notre Sénateur South Kenny saura vous aider! C'est un type bien, notre Lord à nous, mois j'vous le dit !...J'vous ai raconté la fois où il m'a serré la main ? C'était à l'inauguration de la nouvelle Compagnie des Taxis Aériens, à j'm'en souviens très bien. Un grand homme, c'est juré!"
Un nouveau flashback de son horrible passé semblant s'être dissout dans la bonne humeur du chauffeur de taxi, Isabelle se remit à sourire, tout en constatant que le taxi ralentissait.
- "Et voilà, ma dame, le Centre Administratif, on y est ! Le vieux Joe y s'perd jamais. Vous pouvez lui faire confiance pour aller où vous voulez, je connais la Capitale comme ma poche."
- "Merci, mon ami Joe, reçois la gratitude sincère d'Elauria".
Et sur ces mots, la Procuratrice, dans sa magnifique robe argentée, étreignit soudainement le "vieux Joe", le serrant dans ses bras comme on enlaçerait un ami perdu de vue et retrouvé.
- "Je ne t'oublierai jamais, Joe. Ton bonheur m'a sauvé, êt ton peuple va peut-être sauver le mien."
Elle lui caressa la joue tout en souriant.
- "Appelle-moi Isabelle, Joe, cela me ferait très plaisir".
- "Tout ce que vous voudrez M'da...euh...Dame Isabelle!"
Secouant lentement la tête tout en éclatant une nouvelle fois de rire, les cheveux d'Isabelle se balançèrent dans le vent, et Joe crut se trouver face à un ange, une de ses créatures dont lui parlait sa vieille grand-mère du côté maternelle, lorsqu'elle était encore en vie. Son coeur battait la chamade et il sentait que ses jambes cédait, tandis qu'Isabelle s'éloignait d'un pas aérien, semblable en tous points à celui des Anges de la Grand-Mère Martine.
- "Qu'elle est belle...J'espère qu'elle trouvera c'qu'elle cherche. Elle a un petit air triste derrière son sourire. 'A dû s'prendre un bleu à l'âme."
Et sur ces mots, le vieux Joe, reprit son taxi, pour rentrer au garage cette fois, mais ce n'était plus à la fin de cette interminable et morne journée qu'il pensait, comme avant sa rencontre, non, c'était à Dame Isabelle, qu'il pensait, et à ce qu'il raconterait à ses collègues taxis au garage.
"J'ai vu un ange, les gars, j'vous jure ! Elle était aussi réelle que j'vous vois, et elle ressemblait dur à la description de la vieille Martine, ma pauv' grand-mère."
Une demi-heure plus tard, Isabelle déambulait dans le Hall du Centre Administratif, quêtant un buerau encore ouvert en cette fin de journée.
Elle avisa un panneau d'information lui indiquant qu'il fallait qu'elle se rende au quatrième étage pour faire sa demande d'asile politique, pour elle et son peuple.
Une fois arrivé dans le bureau, elle trouva un fonctionnaire qui lui demanda la raison de sa venue. C'était le premier homme à se soucier d'elle depuis la rencontre avec Joe, le chauffeur de taxi, et le deuxième Géonovien qu'elle rencontrait vraiment, car tous semblaient avoir une destination bien précise et un temps imparti pour l'atteindre, dans le hall qu'elle avait dû traverser, et l'ascenseur qu'elle avait emprunté.
- "Bonjour, Ami de Géonova. Je suis Isabelle Evalard, Procuratrice d'Elauria, un monde mort. Mon Peuple recherche un monde qui pourrait être la Nouvelle Elauria, et cette Quête semble être interminable. Par souci pour le bien être des Elauriens, je dois leur trouver un asile.
J'ai récemment rencontré le Lord South Kenny, Sénateur de ce monde, et je crois maintenant que les Elauriens pourraient trouver un asile sûr sur Géonova.
Je sais bien que l'OMEGA est un mouvement important, et que les Elauriens peuvent paraître insignifiants à vos yeux, mais nous avons bon espoir d'apporter notre en matière de Diplomatie aux membres de l'OMEGA, en échange d'un hébergement de notre Peuple.
Acceptez ma demande, Ami de Géonova, ou recherchez je vous prie la personne qui pourra envisager ma requête. J'ai été formée à l'Académie Diplomatique d'Elauria pendant neuf ans, je pourrais vous aider. Je ne demande qu'un foyer temporaire pour mon Peuple en échange."
Sur ce, la Procuratrice Evalard se tût et vint s'assoir sur un siège dans la salle d'attente attenante. Elle ignorait tout de l'administration géonovienne, qui semblait avoir été nouvellement rétablie il y a quelques mois, et ne savait absolument pas comment serait prise sa demande, ni comment serait perçue sa demande de Candidature. Mais elle avait espoir, et pensait aider son Peuple en agissant ainsi. Elle attendrait le temps nécessaire, et peut-être quelqu'un viendrait-il s'intéresser à son histoire et à son Peuple ? A sa requête et à ses espoirs ?
_________________ Isabelle Evalard, Procuratrice d'Elauria, Planète détruite.
|