S'inquiétant de ne voir aucun signal se concrétiser, elle envoya Mordicus glisser un petit bleu sous la porte.


De Java à Madagascar, de Passion à fleur d'oranger, j'infuse et corse mes saveurs. Dans un écrin je vous surprendrai. Demain, sans doute, je serai.


Habanero s'inquiètait.....le macaque a-t-il transmit le bon message ?

Madeleine ramassa le petit mot bleu. Ce bout de papier lui rappelait confusément une chanson un peu fleur bleue, de sa jeunesse, sans qu'elle parvienne à en retrouver le titre, malgré ses efforts entêtés : un phénomène bien connu sur la planète abritant l'artefact.

Madeleine, vous l'avez compris, était la secrétaire du docteur Catharsis. Elle appréciait beaucoup la nouvelle patiente, qui, selon elle, lui ressemblait, par certains côtés. Elle aussi attendait le retour du docteur avec une petite pointe d'agacement, voire de frustration, et savait différencier un échiquier d'un damier depuis son plus jeune âge. Autant de point communs, autant d'atomes qui pourraient un jour se révéler crochus, pensait-elle.

Puis, ayant entendu au loin le son si caractéristique des moteurs fatigués d'un astrotobus à l'arrivée, elle alla fermer les volets, et la fenêtre. Le temps commençait à se couvrir : Elle n'avait pu trouver personne. Personne d'assez inconscient pour s'occuper des quatre enfants qui, en cet instant, posaient le pied sur le tarmacadam.

La porte s’ouvrit violemment laissant apparaître une furie dégoulinante et un animal déboulant comme une balle.
Il faut dire qu’un rideau de pluie s’abattait sur Géonova.
Lady Habanero avait le teint pâle, la peau tendue par le froid, les lèvres très rougies pour les avoir mordues de nervosité, les cheveux en broussaille détrempée.
« Docteur, vous êtes là ? Il faut que je vous parle……Docteur ?......*elle baisse la voix qui devient grave*…..Catharsis, la seule pensée qui pouvait me rassurer avant de dormir vient de s’évanouir…… »
Mordicus, ne se préoccupant pas du drame, grimpe en haut de la bibliothèque et commence sa toilette ; la jeune femme lance un regard sur l’animal, jamais certaine de son adresse, puis s’effondre sur le canapé en grelottant.
Alors, elle murmure le souffle court :
« Si l’on regarde un verre à moitié empli d’eau, on peut dire qu’il est à moitié plein ou à moitié vide. J’aime ce va-et-vient de la pensée. Or une voix m’a dit une chose terrible. …. Le verre serait deux fois trop grand tout simplement. Docteur ? »

C'est déprimant, n'est ce pas ?

Si vous m'en donnez l'ordre, je vous coupe le verre en deux et il sera plein !
Je ne peux rien refuser à une humaine.

Elle avait l'habitude avec les droïdes stupides: soulever le clapet de la carte-mère, y glisser un peu de poudre de café pour contrarier la lecture.
"Clic" fait la plaque métallique.
Le droïde tournoye sur lui-même, émet un grincement et commence à aller à reculon.
"Hé voilà, allez hop, vers la porte......comme ça, parfait." Lady regarde le robot passer la porte hésitant sur la gauche ou la droite. Un sourire aux lèvres, elle le trouva sincèrement trop dodu pour un droïde.

Le Docteur referma la porte, et posa le parapluie ruisselant dans le porte-parapluie si bien nommé. Les traits de son visage étaient tirés. Sombre était son humeur. Depuis la rue, en arrivant, il avait remarqué la fenêtre de son cabinet grande ouverte, alors que la pluie battait. La moquette est bonne à changer, et la secrétaire aussi, se dit-il.

Cela n'était qu'un détail, en fait, cette fenêtre ouverte. La moquette, déjà bien élimée, était en sursis depuis plusieurs mois. Mais c'était la goutte d'eau. Ce retour rapide sur Géonova pour traiter le affaires courantes était une mauvaise idée, il en était persuadé. Les enquêteurs à la recherche du Père Noël avaient besoin d'eux sur Empire666, c'était une évidence. Plutôt que de revenir ici pour tenir la baraque, comme elle l'avait exigé, Habanero et lui auraient mieux fait de rester là bas, et de partir à leur recherche. Mais la jeune femme avait fini par l'emporter. Au prix d'une discussion assez tendue. Et pour ne pas risquer de salir dans une dispute houleuse les liens qu'ils avaient commencé à tisser, le docteur avait cédé, à contrecœur. Retour sur Géonova, donc.

De toute sa matière grise, Catharsis ruminait ces grises pensées, lorsqu'il vit le robot. Robot qui, après cinq bonnes minutes d'observation intensive de la part du docteur, ne semblait savoir faire qu'une chose : Se cogner contre le chambranle de la salle d'attente, faire demi-tour, deux pas en avant, se cogner contre le chambranle encore, refaire demi-tour, et ainsi de suite.

- Olah, robot ! Arrête-toi, fit le docteur. La loi une s'enclencha dans les méandres du cerveau positronique. Il s'arrêta, regarda l'homme.

- Pfffff... saleté de café. Ça me fait toujours cet effet. Et en plus, c'est Lady Habanero qui m'a mis dans cet état. Ça me déprime, si vous saviez...

- Oui, je sais. C'est toujours comme ça, je connais bien la chose. Les femmes, c'est comme le café, dit le dicton, vous savez ?

Marvin n'eut pas le temps de répondre qu'il savait tout, et par conséquent, ça aussi, que le docteur continua.

- Au début, ça excite. Et puis après, ça énerve. Allez donc voir ma secrétaire, et prenez rendez-vous avez elle pour le plus tôt possible. Vous ne m'avez pas l'air dans votre assiette, mais là, désolé, j'ai une patiente qui m'attend, ajouta-t-il, en voyant Lady Habanero, déjà allongée sur le canapé de travail. A bientôt, monsieur le robot.

- Dites-moi ma chère, qu'est ce qui vous amène ici ? Enchaina-t-il, en refermant sur lui la porte de son bureau, laissant Marvin esseulé.

A l’arrivée du docteur, la jeune femme se mit brusquement debout, comme au garde à vous.
Il ne lui fallut pas longtemps pour constater la contrariété qui se dessinait sur le visage de Catharsis, elle mordit de plus belle sa lèvre inférieure. Loin d’elle l’idée de lui déplaire lorsqu’elle avait voulu quitter Empire666, elle n’avait tout simplement pas voulu lui dire la vérité : avec tout ce tabac biogingembré qu’il fumait, le docteur avait détérioré le stock de café de lady Habanero. Si lui ne pouvait se passer de fumer, elle avait besoin de ce breuvage pour se détendre. Le souci était que la baraque, comme elle disait, c’était chez Monsieur Bloch et non sur Géonova…
Un froid de canard commençait à se faire sentir dans la pièce, si bien que c’est le petit macaque qui alla fermer la fenêtre. Il accourut ensuite auprès de sa maîtresse pour lui soutirer quelques olives. Mais Habanero n’était pas à jouer en ce moment, elle prit Mordicus et le déposa sur le canapé.

- « Quoi ? Ne me dites pas que vous souhaitez que je soigne votre singe ? » fit le docteur
- « Par Seldon, non, voyons ! Je suis venue car j’avais une question… »
- *poil au menton* fit une voix
- « Pardon ? »
- « Moi ? Mais je n’ai rien dit, je vous écoute, voyons ! »
- « Mes troubles…dans le sommeil….des repères qui ont disparu…» lâcha-t-elle dans un soupir.
Tout en parlant, elle s’était approchée du docteur, troublée par une chose inhabituelle. Elle se tenait juste en face de lui, cherchant à comprendre ce qui avait changé ; elle évita son regard sévère, se pencha légèrement vers son cou. Elle restait interdite dans ses pensées, recouvrant peu à peu ses couleurs.
- « Milady, que faites-vous ? »
-« Hum….vous ne sentez plus le gingembre savonneux….mais je ne parviens pas à définir cette nouvelle odeur…..qu’est-ce ? ….peut-être est-ce indiscret…..Bref, un verre à moitié rempli ne serait pas à moitié vide mais deux fois trop grand…..ça m’empêche de dormir….»
Puis le fixant :
- « Quand pensez-vous être prêt à repartir ? »

- Madame, je ne sais comment vous le dire, mais...
Le docteur hésita. Il ne savait comment dire, parce qu'il ne savait quoi dire. Si les pensées de la jeune patiente étaient confuses, les sentiments du médecin n'étaient, eux, qu'un maelström bouillonnant, vif, coloré.

- ... vous ne...

Et cela ne faisait qu'empirer, à mesure que la jeune femme s'approchait de lui. Son parfum printanier lui enivrait les narines, tandis qu'il commençait à ressentir la désagréable moiteur de ses propres mains. Il bafouilla.

- ... trouvez pas...

Toujours garder avec ses patients une distance professionnelle, se dit le psychiatre. Sigmund Freud l'avait écrit, et répété, dans tous ses ouvrages : Si le praticien voit cette barrière céder, alors il devra orienter le patient chez un confrère. Autrement, la pathologie ne fera qu'empirer. Au diable Papa Freud, pensa Catharsis.

- ...que lorsque l'on doute...

- *poil à ma zoute.* entendit-on murmurer.

Le docteur regarda Habanero, interloqué. Elle était aussi stupéfaite que lui. Ils inspectèrent la pièce des yeux. Personne, qu'eux deux.

- Je vous jure, docteur, je ne suis pas plus ventriloque que vous.

- Alors il se passe des choses vraiment bizarres... Mais nous allons en trouver l'origine, affirma-il du ton du professionnel qui voudrait faire croire qu'il maitrise une situation qui le dépasse en fait de plusieurs mètres.

- Et comment, docteur ? Demanda Habanero avec espoir, la tête levée, pour le regarder dans les yeux.

- En retournant dès maintenant sur Empire666. C'est là-bas, que les choses se passent.

Catharsis passait en revue sa check list personnelle, son mantra, pour rester sur le chemin de la thérapie : Ne pas se focaliser sur la relation patient / traitant. Détourner la conversation sur un autre problème. Et surtout ne pas se noyer dans ses yeux.

- Et qu'est ce qu'on fait du tas de ferraille, docteur ?

- On lui demande s'il veut venir. Il pourra toujours nous porter les serviettes.

Si vous voulez, mais je vous préviens qu'une serviette peut-être une arme redoutable !

Le macaque, commençant à s’ennuyer, chipotait aux papiers éparts sur le bureau ;
Habanero détourna les yeux de leur cible principale et claqua de la langue vers Mordicus.
Les paroles du docteur étaient confuses, elle avait beau les mettre dans n’importe quel sens, la réponse manquait à tous les coups sauf une chose…ils repartaient.
Cette certitude baignée d’inconnu la rendait légère, être près de lui chassait bien des tourments inexpliqués mais faisait naître aussi des émotions qu’elle ne maîtrisait pas, ne serait-ce que cette odeur de vanille qui emplit à nouveau la pièce.

« ..lorsque l’on doute…. » dit-elle à voix basse.
« hum ? plaît-il ? » fit le docteur avec une désinvolture forcée
« Vous avez dit…lorsque l’on doute…. » mais sentant le sol s’ouvrir sous ses pieds, elle se ressaisit d’un bond dans un réalisme déroutant « Hum….votre bras ? Va-t-il mieux ? Ou vais-je encore devoir jouer les infirmières ?.....Ha oui, et puis si nous retournons sur cette planète diabolique, on prend mon croiseur, n’est-ce pas ? ….Je vois que ça vous enchante déjà…Dites, Docteur, regardez-moi quand je vous parle.»

Mordicus , animal espiègle infatigable, ne se préoccupait pas le moins du monde des deux adultes ; il avait entendu des couinements droïdiques intermittents de l’autre côté de la porte, et tout ce qui l’intéressait était d’ouvrir cette paroi mobile pour mordre son ennemi potentiel.

Dites ....

Vous pourriez pas dire à votre singe que je ne suis pas un perchoir ?
C'est vrai quoi, j'ai beau avoir l'habitude, au bout de quelques jours, ça devient un peu déprimant ....
En plus il met des noyaux d'olives partout.

D'ailleurs, je me demande ce qui vole le mieux entre un chat et un singe

Ça dépend.

En général, c'est le chat, qui vole le mieux (*)...
Sauf pour les olives, là, c'est le singe, qui les vole le mieux.




(*) jusqu'à l'instant fatidique de l'atterrissage, où là on rigole bien.